Analyse par fluorescence X de La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci
au Centre de recherche et de restauration des musées de France
C2RMF/Philippe Dureuil
Des techniques de pointe pour analyser les œuvres d’art
Les méthodes non invasives, sans prélèvement de matière, sont en plein essor. La miniaturisation croissante des instruments permet aux laboratoires d’intervenir directement dans les musées ou les sites patrimoniaux.Sabine Gignoux. 30/6/15
http://www.la-croix.com/Ethique/Sciences-Ethique/Sciences/Des-techniques-de-pointe-pour-analyser-les-aeuvres-d-art-2015-06-30-1329424#Il fut un temps, pas si lointain, où pour analyser la palette d’un peintre, on prélevait un échantillon de matière, de préférence sur le bord des tableaux souvent masqué par le cadre. L’ennui est que cette technique ne donnait qu’une vue parcellaire des pigments et liants utilisés, souvent différents au centre et à la marge. «Depuis quelques années, des méthodes d’analyses non invasives, sans prélèvement, se développent avec d’excellents résultats», souligne Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).
Fleuron de ce laboratoire, l’accélérateur de particules Aglaé, inauguré en 1995, permet ainsi d’analyser la composition chimique détaillée d’un objet, grâce à un bombardement d’ions au 10e de la vitesse de la lumière. Cet équipement, le seul au monde à être dédié exclusivement à l’analyse d’œuvres d’art, a déjà livré de nombreux résultats. Aglaé a déchiffré le regard du célèbre Scribe accroupi égyptien du Louvre, composé de plaques d’argent et de cristal de roche.
Idem pour la statuette babylonienne de la déesse Ishtar, également au Louvre, dont les yeux de braise en rubis ont été identifiés comme venant de Birmanie. L’accélérateur vient encore de lever l’énigme sur le mystérieux voyage de la parure verte en callaïs, retrouvée dans des tombes néolithiques bretonnes. Mais après vingt ans de loyaux services, il doit être modernisé. Labellisé équipement d’excellence (Equipex), cette rénovation de 1,450 million d’euros, financé par le grand emprunt et la Ville de Paris, permettra en 2018 «de livrer non plus des analyses ponctuelles mais des images chimiques des objets, qui se déplaceront devant le faisceau», explique Michel Menu, chef du département recherche au C2RMF.
D’autres procédés d’imagerie non invasives se développent. La fluorescence 2D permet ainsi d’analyser les pigments d’une peinture. Un faisceau de rayons X est projeté à la surface et l’analyse du rayonnement réémis par la matière permet d’identifier les différents éléments chimiques présents : le plomb signale par exemple la présence de blanc, le mercure du vermillon, etc. Le déplacement du faisceau permet de cartographier en une dizaine d’heures une zone de 30 cm2 .
Et l’analyse décèle même des éléments en profondeur. «Simplement, pour préciser la hiérarchie des couches, on complète par une observation au microscope optique, en profitant des craquelures par exemple, ou par un microprélèvement», explique Myriam éveno du C2RMF. L’analyse d’un Crucifix peint par l’atelier de Giotto, au Louvre, a permis ainsi de montrer que sous des repeints plus sombres du XIXe siècle subsistait le décor du XIVe siècle beaucoup plus éclatant à l’origine avec ses pigments vert-de-gris, bleu azurite, vermillon et même de la laque rouge. De plus, la découverte d’azurite au lieu du précieux lapis-lazuli, et d’un fond fait d’une feuille d’or et d’argent au lieu de l’or pur, a confirmé la thèse des historiens d’art d’une œuvre de second rang, exécutée par l’atelier de Giotto et non par le maître lui-même.
Autre technique non invasive utilisée au C2RMF depuis 2004 : la rugosimétrie. «Ce type de scanner a été d’abord utilisé dans l’industrie pour étudier la surface et l’usure de matériaux. Il permet d’obtenir une image très nette du relief avec une précision au millième de millimètre près. On peut même zoomer et faire varier la lumière dans l’image en relief obtenue, ce qui permet par exemple d’étudier le profil d’un trait de gravure et d’identifier ainsi la signature d’un outil», explique Nicolas Mélard, conservateur du patrimoine. Il vient d’analyser ainsi un fragment d’os trouvé dans une grotte de l’Ariège, orné il y a 14 000 ans de deux loups affrontés.
Le scanner 3D a révélé des traces de raclage montrant que l’os avait probablement servi de spatule avant d’être fracturé et recyclé comme support d’une gravure. Il semble même qu’un seul outil ait été utilisé, mais avec deux gestes différents, l’un pour graver les contours profonds des loups et l’autre leurs poils plus fins, prouvant l’habileté des artisans du Paléolithique… «Mais ce scanner ne sert pas qu’aux archéologues. Une restauratrice l’utilise actuellement pour étudier l’impact de produits solvants sur une peinture contemporaine, afin d’utiliser le moins agressif», ajoute Nicolas Mélard.
La miniaturisation croissante de nombre de ces appareils de mesure permet aujourd’hui d’intervenir sur des sites, hier inaccessibles. Depuis 2012, le laboratoire de recherche des monuments historiques a ainsi mis au point avec d’autres (1), dans le cadre d’un equipex patrimex, un laboratoire d’analyse mobile, transporté par camionnette. Des grottes ornées, des fresques peintes dans des églises ou des cathédrales, des peintures grand format difficilement déplaçables, comme récemment L’Atelier du peintre de Courbet au Musée d’Orsay, ont pu être analysées in situ.
Le Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (LAMS) de l’université Pierre-et-Marie-Curie à Paris met au point ainsi chaque année de nouveaux prototypes de plus en plus petits. «Aujourd’hui nos deux appareils de mesure par fluorescence X et par diffraction des rayons X tiennent dans une valise. Notre spectromètre pour mesurer la couleur à la taille d’une boîte d’allumettes et notre spectromètre infrarouge ne pèse plus que 2 à 3 kg contre 40 kg il y a dix ans», raconte son directeur Philippe Walter.
Grâce à ces équipements, son équipe de 26 chercheurs va étudier aussi bien les couleurs d’une tombe égyptienne que la polychromie du sanctuaire de Delphes ou la palette et la technique singulière de Nicolas Poussin dont les œuvres sont disséminées dans des musées du monde entier. Avec à la clé des résultats essentiels pour mieux connaître les œuvres, mener des restaurations et parfois trancher des querelles d’attribution.
Le Lams propose même depuis quatre ans, avec le centre de formation permanente de l’université Paris 2-Assas, des cours destinés aux professionnels du marché de l’art. «Quand on pense qu’il suffit parfois de détecter du blanc de titane, un pigment postérieur à 1920, pour démasquer un faux tableau ancien, et vu le nombre de contentieux, le développement des analyses privées paraît inévitable», observe Philippe Walter.
--------------
Bientôt des peintures restaurées au laser Depuis 2005, le laboratoire de recherche sur les monuments historiques utilise un nouvel outil laser. Le procédé dit «Libs» consiste à créer avec un laser une étincelle de matière sur une peinture, par exemple, et à analyser ensuite au spectromètre les émissions optiques de ses différents éléments, pour identifier pigments et liants. «La méthode offre plusieurs avantages. Son impact (50 microns) est invisible à l’œil nu. On braque le laser où l’on veut, même sur des traces de polychromie sur un portail sculpté ! Et l’on peut même faire une étude stratigraphique. Enfin, la réponse est instantanée ce qui est précieux pour accompagner des restaurations», explique Vincent Detalle, ingénieur de recherche.
Des peintures ont ainsi été analysées à l’abbaye de Saint-Savin, au palais des Papes et dans les cathédrales de Chartres, de Strasbourg, de Paris ou d’Albi. Dans celle de Poitiers en juillet, la Libs auscultera des décors figuratifs du XIIIe siècle récemment découverts.
«Le laser, ce scalpel photonique utilisé en chirurgie des yeux, sert déjà pour nettoyer la pierre des monuments. À l’avenir, note Vincent Detalle, il pourrait être utilisé pour alléger des vernis, retirer des colles de rentoilage. Sa précision est remarquable et permet un contrôle permanent. Des essais de dévernissage de peinture sont en cours en Grèce, à Héraklion, et nous avons plusieurs thésards qui travaillent sur ce sujet.»
Sabine Gignoux
(1) Les universités de Cergy Pontoise et Versailles/Saint Quentin, le C2RMF et le Centre de recherche sur la conservation des collections de livres et de documents CRCC
Voir aussi «Le Synchrotron de Saclay décrypte les mystères des œuvres d’art» sur
www.la-croix.com