Restitution de
la Petite Galerie. 1692
(Gédéon Programmes / Aristeas.)Les intérieurs historiques et le numérique
Possibilités et limites des reconstructions virtuelles pour la recherche
Paris, Centre allemand d’histoire de l’art Paris, 17 novembre 2022
Château de Versailles, 18 novembre 2022La reconstruction virtuelle d’intérieurs historiques – de l’architecture en passant par la décoration murale et le mobilier jusqu’aux textiles – est un instrument de médiation culturelle qui a fait ses preuves ces dernières années, en particulier dans le monde des musées et des expositions, mais aussi dans les monuments historiques et en archéologie.
Depuis une période récente, cet outil est en outre utilisé spécifiquement par la recherche en histoire et en histoire de l’art pour l’étude des intérieurs historiques. Les questions de proportions spatiales ou encore les unités architectoniques fondamentales sont ici au premier plan, l’accent étant souvent mis sur la possibilité de visiter virtuellement ces espaces, soit sur un écran 2D, soit avec un casque immersif.
Concernant en revanche la restitution des caractéristiques esthétiques des intérieurs, lesquelles dépendent étroitement des matériaux qui les constituent, les diverses solutions existantes sont à l’heure actuelle insuffisantes, tant sur le plan esthétique que scientifique. La reconstruction virtuelle d’intérieurs dans leur état d’époque à partir de sources historiques permet certes le choix de matériaux dont l’utilisation réelle ne serait plus défendable aujourd’hui, que ce soit pour des raisons de conservation préventive, d’éthique ou encore de financement. Néanmoins, la multiplicité des matériaux tels que les différents bois, les métaux et les textiles, mais aussi les structures de leurs surfaces respectives, les nuances de couleurs ou encore les traces de la fabrication artisanale ne sont restituées que de façon rudimentaire dans les modèles élaborés jusqu’à présent.
Comment inclure de manière contrôlée les caractéristiques inhérentes aux matériaux, les marques laissées par l’usage et les irrégularités que révèlent les observations effectives dans les modélisations, afin que celles-ci offrent une perception plus adéquate ? Il semble que l’espoir exprimé dès 2013 de dépasser rapidement les surfaces excessivement aseptisées des modèles numériques n’ait pas encore abouti (Kohle 2013, p. 166).
En mettant l’accent sur les intérieurs historiques, ce colloque met en lumière des problèmes fondamentaux de la recherche actuelle. Il s’agit d’abord de la question non encore totalement résolue de l’utilité des modèles virtuels tridimensionnels – souvent issus du secteur des jeux vidéo – en tant qu’instruments voire auxiliaires de la recherche en histoire de l’art.
On ne peut y répondre de façon satisfaisante sans interroger également la genèse et la transformation de l’objet étudié et la représentation d’un ou plusieurs états (plan initial, possibilité de masquer des travaux et modifications documentés).
Bien que la recherche et en particulier l’archéologie aient déjà établi une tradition au moyen de modélisations haptiques comme numériques de l’espace, l’histoire de l’art semble encore très en retrait sur ce terrain (Messemer 2020). Une telle attitude circonspecte est sans commune mesure avec la croissance continue des modèles tridimensionnels et des applications de réalité augmentée utilisés pour la transmission de connaissances dans les musées, ou encore en lien avec les monuments et les lieux de mémoire (Jeffrey 2021).
De surcroît, cette réserve apparaît en contradiction avec le postulat maintes fois réaffirmé de la capacité des modèles numériques de densifier la réflexion scientifique au-delà des possibilités du langage (Pfarr-Harst 2020). L’analyse des intérieurs historiques implique de confronter les structures architecturales aux objets mobiles. Pourtant, ceux-ci ont jusqu’à présent été majoritairement considérés séparément dans l’utilisation scientifique des modèles tridimensionnels. C’est pourquoi la plupart des discours s’intéressent soit à la dimension architecturale des espaces, soit aux objets eux-mêmes, pris isolément. Dans ce contexte, il nous semble important de relever que les modélisations 3D d’objets (ex : éléments de mobilier) suscitent bien plutôt des discussions sur les aspects ayant trait à la reproduction et à l’authenticité, ou encore depuis peu sur les questions d’appropriations culturelles (Jeffrey et al. 2020 ; Jeffs 2020).
Quant à la mise en scène des représentations sociales et du pouvoir (Hoppe/De Jonge/Breitling 2018), qui s’incarne dans la perception visuelle et corporelle des espaces (dans leur utilisation, notamment cérémonielle), elle reste insuffisamment véhiculée par les reconstructions virtuelles, de même que la dimension de l’usage des objets – sièges ou secrétaires par exemple – comme constitutive de l’expérience de la pièce. Outre l’exploration de scenarii d’utilisations historiques comparées aux exigences modernes, la modélisation des propriétés acoustiques et thermiques d’espaces qui étaient abondamment garnis de textiles (tapis, rideaux, tentures murales, baldaquins et Gobelins) ouvre de nouvelles perspectives de recherche du plus haut intérêt. De façon générale, l’absence de ces éléments sensoriels qui font partie intégrante de l’art de la décoration intérieure constitue une limitation considérable des avantages potentiels de la représentation virtuelle.
Ce colloque international organisé conjointement par le Centre allemand d’histoire de l’art Paris, le Mobilier national et le Centre de recherche du château de Versailles permettra un échange d’informations entre spécialistes du monde des musées, historiens et historiennes de l’art et expert(e)s en reconstruction numérique et modélisation 3D.
Il sera l’occasion de s’interroger sur les étapes préalables à la modélisation et à la restitution virtuelle, sur la phase de création de l’outil et d’échanges entre les historiens de l’art et les techniciens et, enfin, sur la réception par le public et le devenir de tels outils une fois ceux-ci aboutis. Il permettra en outre à de jeunes chercheurs et chercheuses de présenter leurs propres projets de recherche et de les soumettre à la discussion dans un cercle de spécialistes du domaine.
Comité d’organisation– Muriel Barbier (Mobilier national) ; Retour ligne manuel
– Marc Bayard (Mobilier national) ;Retour ligne manuel
– Markus A. Castor (Centre allemand d’histoire de l’art Paris) ;Retour ligne manuel
– Mathieu da Vinha (Centre de recherche du château de Versailles) ;Retour ligne manuel
– Jörg Ebeling (Centre allemand d’histoire de l’art Paris) ;Retour ligne manuel
– Anne Klammt (Centre allemand d’histoire de l’art Paris) ;Retour ligne manuel
– Benjamin Ringot (Centre de recherche du château de Versailles).
A suivre ...