En ouverture de l'exposition Gouthière à Paris, une journée d'étude s'est tenue au Musée des Arts Décoratifs le jeudi 16 mars.
JOURNÉE D’ÉTUDES : « OR VIRTUOSE À LA COUR DE FRANCE PIERRE GOUTHIÈRE, 1732-1813 »
Cette journée a réuni de brillants experts qui ont chacun apporté leurs précieuses connaissances ou interrogations sur la carrière de ce maitre bronzier ciseleur doreur.
Les interventions étaient accompagnées de projections d'illustrations.
(Juste pour l'anecdote, devant ce parterre de conservateurs et d'experts versaillais -certains ne sont pas nommés car pas intervenants- s'est assis parmi les auditeurs M. Bill Pallot en toute simplicité... et la salle en gradins frontaux n'est pas très grande pour ceux qui la connaissent.)
Très denses, les communications de chacun ont rappelé le contexte de l'époque notamment celui des corporations, de la clientèle, du goût en vogue, du rôle des administrations royales et des paiements.
je ne ferai pas un compte rendu exhaustif de tout ce qui a été dit, mais j'ai relevé quelques notes qui m'ont paru intéressantes. D'autres membres du forum ayant suivi cette journée, ils pourront sans doute apporter des compléments de notes et sans doute des photos.
Tout les intervenants s'accordèrent à dire que Gouthière ne résume pas un style proprement dit mais une manière de travailler. Sa technique de dorure bien évidemment mais aussi de montage parfait qui n'utilisait pas de vis ni ne perçait les matières minérales ou céramiques.
- Intervention de M. Carlier, Orfèvre et bronziers, un métier commun ?
Deux corporations distinctes : bronziers et orfèvres
Les oeuvres en argent des orfèvres sont déclinées en bronze par les bronziers pour beaucoup moins cher, un rapport de 5 ou 6, car le bronze contrairement à l’argent n’a pas une valeur monétaire.
Par exemple, en 1709, les candélabres de la Chapelle royale en argent sont fondus et recréés par Delaunay en bronze.
Les fondeurs sont sous traités par les orfèvres dont les ateliers sont trop petits pour fondre leur métal.
- Intervention de Mme Sylvia Vriz. Le Ve duc d'Aumont et Pierre Gouthière, l'histoire d'un goût :
Le duc d'Aumont n'était pas un esthète véritablement mais un avide collectionneur un peu extravagant. C. Baulez a parlé de "collectionnite aigue".
Très riche (fortune estimée à 5 millions de livres), il achetait tous azimut au Moyen Orient et en Asie notamment des pierres et des porcelaines. Il exposait dans son hôtel place Louis XV (Concorde) dans l'actuel hôtel de Crillon.
A sa mort, sa collections dessinée par Pierre Adrien Pâris, fut mise en vente en 1783. Beaucoup de pièces furent achetées par Louis XVI en vue de l'ouverture de son musée.
Pierres dures : 8% de la collection du duc.
Montée et dorées par Gouthière.
Ex : cassolette (Wallace Collection ) acquise par MA pour 12 000 livres.
21 tables en pierre dure (4%) acquises par le Garde-Meuble.
Ex : MA est représentée dans le portrait en chemise de gaule par EVL à côté d’une table en porphyre (de 1773 avec termes féminins). Cette table fut prêtée par le GM pour l’occasion.
Cette table parmi quatre autres auraient disparu dans l’incendie des château de Saint-Cloud.
424 porcelaines orientales ; montées par Gouthière dans les 5 dernières années de sa carrière (avant faillite en 1787).
Marie-Antoinette exposa sur la cheminée du cabinet de la Méridiennes cinq vases montés sur bronze achetés au duc d’Aumont.
Cette petite pièce exquise par ses boiseries et ses dimensions avait sans doute une toute autre allure que celle qu'on veut lui donner aujourd'hui.
La fonction de la glace de la cheminée qui est souvent rappelée comme étant une deuxième source de lumière dans cette sombre pièce donnant au nord sur cour perd un peu de son sens.
La taille des vases devait obstruer une partie de la glace qui servait surtout à faire briller leurs bronzes, aidée par les bras de lumière latéraux.
Au milieu du plateau de la cheminée, la cassolette en place à la Wallace Collection, H 48cm.
A chacun de ses côtés, les deux aiguières (Collection de Mme Pinault)
Et à chaque extrême, les porcelaines Kakiemon, H 35,5cm (collection particulière)
- Intervention de Emmanuel Sarméo, Dee feu et d’or : le bronze doré, parure à la mode pour les cheminées françaises de la seconde moitié du XVIIIe siècle :
La cheminée, on l'oublie souvent, était l'orgueil du propriétaire, car lieu de rassemblement (source de chaleur), de lumière et d'(auto)contemplation (glace et appliques latérales ou candélabres), exposition d'oeuvres sur tablette. La cheminée qui finit par avoir une fonction de console.
Exemple de dessin de cheminée en forme de consol avec des chenets liés aux montants par J.L. Prieur (1772) à l'hôtel de Bourbon pour le prince de Condé. (MAD)
Principaux exemples d'ornements en bronze par Gouthière : cheminées de Mme du Barry et de Marie-Antoinette à Fontainebleau, du comte d’Artois à Bagatelle.
Gouthière crée à partir des dessins de J.L Prieur ou de Belanger.
Production en série des ornements : bacchanales initialement créées pour l’hôtel de la duchesse de Mazarin.
Dessin grandeur nature pour la cheminée de la Cassette à Versailles, afin que le roi puisse apprécier et choisir in situ.
- Intervention de M. Castelluccio, Les bronzes dorés du roi. Gestion et usages
Il a séparé :
- les bronzes immeubles : espagnolettes, cadres, glace, boutons de porte, targettes, serrures, bronzes cheminées… gérer par les bâtiments du Roi
- les bronzes meubles : chenets, lustres, flambeaux, bras lumières. Il rappelle au passage que le terme de feux comprend : les chenets, la pincette et la tenaille. Gérés par le Garde-Meuble Royal.
Superposition des deux institutions de la gestion des bras de lumière. Ces pièces étaient souvent déplacées en fonction des mouvements de la cour et surtout ensuite de l’agrandissement de la famille royale avec les frères et soeurs du roi qui ont des appartements dans les différentes résidences royales.
Ainsi par exemple en 1769, de Marigny ordonne le déménagement des bras de lumière de Mesdames à Compiègne vers Fontainebleau le temps du séjour de la cour puis leur retour ensuite à leur place d’origine.
En 1785, le Garde-Meuble obtient la gestion de tous les accessoires liés aux cheminées.
- Intervention de Anne Forray-Carlier, Choisissez votre cheminée ! Un recueil de modèles de cheminée à décor de bronzes dorés conservé au musée des Arts décoratifs, :
Recueil de modèles de cheminée donné au musée des Arts décoratifs par le collectionneur David David-Weill en 1923.
Question sur l’attribution à Gouthière des dessins très élaborés et minutieux.
Exemple : on retrouve des ornements sur certaine planches, dont des angelots drapés qui se rapportent à la cheminée de Mme du Barry à Fontainebleau utilisée en suite dans la bibliothèque de Louis XVI à Versailles.
Deux cheminées qui pourraient confirmer la paternité du recueil à Gouthière :
- cheminée de la Low White room de Waddesdon Manor, feuillet 13 du recueil.
- Cheminée entrée au Louvre en 1991 qui montre des similitudes avec le feuillet 31.
Conclusion : planches de Gouthière ? recueil de marchand ? d’architecte ? de bronzier ? Christian Baulez, comme beaucoup, a émis des réserves sur l’attribution à Gouthière, il pense plutôt que ce recueil très abouti servait de catalogue à un décorateur pour riches clients.
- Intervention de Christian Baulez, Les Pitoin, bronziers de légende ?
C. Baulez remet en question la paternité des feux au Sanglier et au Cerf à Pitoin.
Au passage, il fait remarquer que le modèle exposé à Versailles dans la bibliothèque de Louis XVI est trop grand par rapport à la largeur du foyer de la cheminée. Donc il ne s’agirait pas du bon modèle.
Il prend aussi en exemple les chenets attribués à Pitoin présentés dans la chambre privée du Roi.
Sur la fonte à l'arrière est inscrit 25 nov. 1775 Dambrière.
C. Baulez au lieu d'un 5 (identifié par P. Verlet) lit plutôt un 0, ce qui donnerait 1770 et serait logique avec d'autres livraisons et remettrait en question l'attribution à Pitoin.
Ces paires de chenets auraient été conçus par Pitoin mais ni fondus, ni sculptés ni ciselés par son atelier.
Une chaîne d’intervenants depuis la conception jusqu’au fournisseur.
Exposition
Un petit saut à l'exposition en fin de journée a permis d'admirer une partie des oeuvres discutées.
La table Mazarin est hélas restée à New York, son état ne lui permet plus de voyager.
Les chenets aux Sphynx de la chambre de la Reine paraissaient absolument énormes, présentés hors de la pièce d'apparat de Versailles.
Les chenets aux dromadaires sont présentés de telle façon, qu'on peut voir l'arrière creu de leur socle :