Histoire, description et guide du chateau de Versailles |
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| Le Roi, Dieu et les dieux | |
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A-Marie Duchesse, Duc et Pair de France
Nombre de messages : 1332 Localisation : Val de Galie Date d'inscription : 25/05/2013
| Sujet: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 11:27 | |
| Chers amis, Une question me taraude, elle n'est pas encore très claire, ni située dans un champ de savoir précis. Je vais tourner autour, avec vous si vous le voulez bien, pour avancer un peu. Une chose m'interroge : le Roi qui tient son pouvoir directement de Dieu s'entoure et vit dans un environnement où les mythologies grecque et latine sont omniprésentes ; les relations complexes et le caractère de la kyrielle de dieux antiques étant souvent en grande contradiction avec les fondements religieux du règne. L'antiquité est là, partout, dans l’art, l’éducation le théâtre… Les relations entretenues par la religion officielle - vécue avec une importance sociale difficile à imaginer de notre point de vue laïque actuel - et les mythologies anciennes m’interrogent à de multiples niveaux. Savez-vous si des études ont été réalisées sur ce thème, ou tout ce qui peut s’y inscrire : comment cohabitent les références antiques et les bases chrétiennes dans la société. Pour faire plus simple, je voudrais savoir, ce qui se passait dans la tête d’un Roi, d’un juge, d’un courtisan, d’un laboureur… entre Dieu et les dieux , entre foi et morale chrétienne et récits mythologiques. Impossible à savoir certes, mais ne peut-on pas s’approcher ? Merci de votre aide | |
| | | G.M. co-Admin
Nombre de messages : 12989 Localisation : Entre le comté d'Eu, les Tuileries, Versailles, Fontainebleau, et la principauté de Dombes Date d'inscription : 13/02/2012
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 12:18 | |
| Eh bien, chère Anne-Marie, vous ouvrez un vaste et passionnant sujet ! M. Maral, dans son parcours mythologique dans les jardins de Versailles, donne une analyse synthétique qui pourra vous servir de point de départ.
Selon lui : on pourrait s'étonner à juste titre de ce que Versailles, le palais d'un roi très chrétien, ait été peuplé de sculptures faisant référence à la mythologie païenne.
Ce phénomène paradoxal d'une coexistence pacifique entre une religion exclusive et une mythologie qui lui est étrangère dépasse en fait l'horizon de Versailles. Dès l'Antiquité, la mythologie avait été utilisée comme un prodigieux réservoir de thèmes littéraires et artistiques. A l'époque moderne, l'enseignement des jésuites eut également volontiers recours à cet usage culturel d'un système religieux, vidé de sa dimension confessionnelle. Bien plus, de nombreux auteurs chrétiens devaient explorer l'univers mythologique pour prendre la pleine mesure des progrès accomplis par le christianisme ou, au contraire, y déceler des parcelles de vérité chrétienne, couvertes du voile mythique. Sorte de propédeutique païenne, la mythologie antique était ainsi appelée à soutenir la religion chrétienne.
L'humanisme dévot issu de la Réforme catholique prit ainsi le relais de la république des lettres pour défendre l'héritage mythologique, notamment contre une Réforme protestante qui entendait l'évacuer de la conscience chrétienne : l'enjeu dépassait le simple intérêt littéraire ou artistique, il s'agissait de maintenir, à travers le langage mythologique qui en était le signe, le modèle d'universalité dont la Rome des papes était dépositaire en tant que capitale de la chrétienté.
C'est ce qui explique que la mythologie antique ait été appelée , à l'époque moderne, à connaitre une vraie renaissance. Cette langue commune des élites catholiques et lettrées était devenue un signe de civilisation.
Plaisante et variée, elle offrait encore, comme dans l'Antiquité, une grille de lecture du monde environnant, une manière imagée de l'investir. Le mythe devenait un moyen poétique et vivant de mieux comprendre des réalités invisibles ou difficiles à expliquer, des idées ou des principes universels abstraits.
Cette langue mythologique participait ainsi du discours allégorique, qui consiste à présenter une pensée sous l'image d'une autre pensée, mais de manière à la rendre plus sensible et plus frappante que si elle était exposée directement.
Issue de Platon et de la tradition néoplatonicienne, cette prise de distance par rapport au mythe dans sa composante païenne s'était imposée dans la pensée chrétienne : loin de constituer un corps de doctrine cohérent et unifié, le mythe était devenu une sorte de "contemplation mystique" (Pierre Grimal) et imagée d'une réalité sur laquelle il n'avait plus de prise.
Au prix de cette transmutation culturelle du mythe antique, l'héritage mythologique avait non seulement survécu aux civilisations qui l'avaient vu naitre, mais il avait connu un véritable engouement à l'époque moderne, dont Versailles reste une des manifestations les plus spectaculaires. _________________ « Il n’y a pas d’endroit à Versailles qui n’ait été modifié dix fois, et souvent il arrive que c’est tant pis. » Élisabeth-Charlotte, princesse Palatine, duchesse d'Orléans (1652-1722)
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| | | A-Marie Duchesse, Duc et Pair de France
Nombre de messages : 1332 Localisation : Val de Galie Date d'inscription : 25/05/2013
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 13:37 | |
| Merci pour votre réponse, je vais donc me tourner vers Alexandre Maral. Interroger les bases et leurs relations aux comportements individuels et collectifs me semble nécessaire - ce qui est valable pour toutes les époques, mais particulièrement intéressant à Versailles. | |
| | | M. de Noisy Admin
Nombre de messages : 24714 Age : 59 Localisation : Royaume de France et de Navarre Date d'inscription : 21/02/2006
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 18:49 | |
| Une autre présentation, peut-être plus simpliste du sujet, serait :
En héritage de la Renaissance et de la redécouverte de l’Antiquité, une forme de dychotomie de pouvoir et du message qu'il véhicule : - une utilisation de l'art religieux comme discours du sacré, messager de la divinité chrétienne au sein des églises, - une utilisation de l'art antique comme discours du profane, en particulier pour la personnification des actions du roi au travers du travestissement antique
Notons cependant qu'à Versailles, le tout reste étroitement mêlé dans les décors intérieurs car dans le grand appartement, si les plafonds glorifient les actions du roi sous le voile antique, une très grande partie des peintures de chevalet exposées sur les murs sont des sujets religieux.
Dans ce cas, on observe une seconde différence entre les décors fixes contemporains et la qualité d'objets de collections des tableaux de chevalet ou des antiques, autre forme de glorification de la personne royale, nouveau "Mécène" de la France. _________________ "Oui, Sire, le moulin a disparu mais le vent est resté", M. de Gramont.
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| | | Alain Roger-Ravily + Petite-Fille, Petit-Fils de France
Nombre de messages : 12919 Date d'inscription : 24/10/2011
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 19:20 | |
| Reste que la monarchie n'a pas non plus hésité, entre le religieux et la mythologie et ses divinités héritée de l'Antiquité, à personnifier de simples valeurs morales, comme la magnanimité royale du salon de la chapelle, ou l'Amitié de Bellevue, après bien des représentations de la grande commande qui ne sont ni mythologiques ni religieuses.
Plus que l'Egypte ou la Grèce c'est l'Italie romaine qu'il s'agissait de réunir ici avec les plus beaux exemples afin de la comparer avec les créations du grand siècle, Versailles étant devenu une nouvelle Rome.
Mais il me semble qu'Anne-Marie pose la question de l'adoration de l'art antique que l'on aurait pu considéré comme sacrilège, si la politique artistique et économique de la France n'avait alors tout à y gagner. | |
| | | M. de Noisy Admin
Nombre de messages : 24714 Age : 59 Localisation : Royaume de France et de Navarre Date d'inscription : 21/02/2006
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 19:26 | |
| C'est à Versailles, le propre du génie français d'être allé au-dela des représentations conventionnelles de l'époque, à partir des canons en vigueur venus de Rome, beaucoup considère d'ailleurs qu'à Versailles, Louis XIV a franchi un autre pas, celui de se faire représenter en personne à la galerie des Glaces, non sans avoir hésité entre une histoire d’Apollon et Diane ou d'Hercule, un parti initial plus classique pour cette même galerie. _________________ "Oui, Sire, le moulin a disparu mais le vent est resté", M. de Gramont.
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| | | A-Marie Duchesse, Duc et Pair de France
Nombre de messages : 1332 Localisation : Val de Galie Date d'inscription : 25/05/2013
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 19:37 | |
| Je vais essayer de préciser ce que je cherche à comprendre, ce n'est pas très clair comme je le disais au début. Par exemple, quand on considère les tableaux qui représentent Louis XIV, qui on le sait ne laissait rien au hasard, la question des choix de mise en scène se pose. Entre le Roi guerrier… chasseur… souverain en majesté qui met de la distance par le costume, le regard, la prestance et le Roi-Apollon au milieu de sa famille peint par Jean Nocret en 1670, il y a un monde. Le beau et jeune souverain, presque détendu et plutôt dénudé s’y présente à la fois très incarné et allégorique. Les membres de la famille royale, en personnages mythologique, nous regardent dans la même tenue vestimentaire et corporelle. Au-delà de l’usage de ces commandes (Pourquoi, pour qui ces différences, pour quelles significations ?) je m’interroge sur le ressenti de ces sortes de jeux de rôle par les acteurs eux-mêmes et par leurs spectateurs. Ces dieux païens si envahissants n’étaient-ils vraiment vécus que comme des références culturelles, ou avaient-ils une part moins distanciée que celle de notre époque dans la vie psychique des individus ? https://www.connaissancesdeversailles.org/t1652-la-famille-de-louis-xiv-representee-en-travesti-mythologique
Dernière édition par A-Marie le Jeu 27 Mar 2014 - 23:42, édité 2 fois | |
| | | M. de Noisy Admin
Nombre de messages : 24714 Age : 59 Localisation : Royaume de France et de Navarre Date d'inscription : 21/02/2006
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Jeu 27 Mar 2014 - 19:58 | |
| Cela sous-entendrait, pour la noblesse et la royauté, une affirmation de leur statut supérieur au commun des mortels, sortes de demi-dieux et dieux séculiers ?
N'oublions pas que cette noblesse, et le roi au premier chef, est élevé dans l'étude de cette mythologie dans le texte latin ou grec, de l'histoire antique et de ses exemples de vertus et d'hommes illustres. A Versailles, Le dauphin dans le Labyrinthe est conseillé par le vieil Esope grec, Cette connaissance doit sortir la noblesse du lot par son comportement et ses actions.
Cette nomenklatura connait les codes et les messages sous le fard artistique et peut-être s'y différencie-t-elle du reste du peuple par sa capacité à les comprendre. _________________ "Oui, Sire, le moulin a disparu mais le vent est resté", M. de Gramont.
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| | | A-Marie Duchesse, Duc et Pair de France
Nombre de messages : 1332 Localisation : Val de Galie Date d'inscription : 25/05/2013
| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux Dim 30 Mar 2014 - 13:11 | |
| Entendre et lire
Entendu aujourd'hui sur France Inter : "Pour gouverner les hommes il faut les faire rêver" Régis Debray à propos des mythes
Après un passage à la librairie des Princes, un peu de biblio supplémentaire : - Alexandre Maral, Le Roi-Soleil et Dieu, Perrin 2012 - Gérard Sabatier, Le prince et les arts, Stratégistes figuratives de la monarchie française de la Renaissance aux Lumières, Champ Vallon 2010 | |
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| Sujet: Re: Le Roi, Dieu et les dieux | |
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